L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a fait preuve de discrimination envers un membre de l’AFPC en raison de son âge, de sa race et d’une déficience perçue, le privant ainsi d’un emploi permanent.
C’est la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) dans l’affaire Levan Turner c. l’Agence des services frontaliers du Canada. Rappelons que cette plainte remonte à 2005.
- Décision, Levan Turner c. Agence des services frontaliers du Canada [en anglais seulement]
L’AFPC et le Syndicat des douanes et de l’immigration ont appuyé M. Turner, dont le dossier est passé par cinq instances décisionnelles, y compris la Cour d’appel fédérale qui a renvoyé l’affaire au TCDP.
Après une décennie de procédures judiciaires, M. Turner obtiendra un dédommagement substantiel pour compenser la perte de salaire. Plus important encore, sa cause fera jurisprudence pour la lutte contre toute forme de discrimination pouvant influer sur la dotation et priver les gens de possibilités d’avancement.
Lisa Addario est conseillère juridique à l’AFPC. Elle a accepté de répondre à nos questions et d’expliquer l’importance que revêt cette cause, tant pour les membres de l’AFPC que pour le droit du travail au Canada.
Expliquez-nous ce qui a poussé Levan Turner à déposer une plainte.
Sa plainte remonte à 2005. M. Turner avait posé sa candidature pour deux postes de durée indéterminée à l’ASFC; sa candidature a été rejetée les deux fois. Pourtant, il travaillait comme agent des services frontaliers saisonnier depuis des années et ses évaluations de rendement étaient exceptionnelles. M. Turner est un homme noir corpulent et il est convaincu que c’est pour cette raison qu’il a été exclu des concours.
Pendant les procédures judiciaires, nous avons mis la main sur des courriels qui avaient été envoyés au comité d’embauche. Ces messages laissaient entendre que M. Turner était paresseux, une remarque qui semblait être reliée au stéréotype raciste de « l’homme noir paresseux ».
Et le Tribunal nous a donné raison. Dans sa décision, il a déclaré que la procédure d’entrevue n’était qu’un prétexte et que M. Turner avait été l’objet de discrimination en raison d’une déficience perçue (son obésité), de sa race et de son âge.
En quoi cette décision est-elle importante pour les droits de la personne?
Parce qu’elle crée un précédent pour les autres cas de discrimination « invisible ».
La Cour suprême a établi que la déficience perçue est un motif de discrimination. Pourquoi? Parce que la perception qu’on a de vous, qu’elle soit fondée ou non, peut avoir un impact négatif. Donc, M. Turner, un homme noir corpulent, était perçu comme un homme « paresseux ».
La discrimination fondée sur des motifs multiples, ou l’intersectionnalité, ajoute à la complexité de cette cause. C’est très important. Certains stéréotypes viennent s’ajouter aux motifs de discrimination qui nous sont plus familiers, comme la race, le sexe et le handicap.
Malgré un rendement jugé excellent, le stéréotype du « gros homme noir paresseux », regroupant plusieurs facteurs négatifs, a servi à exclure M. Turner.
Pourquoi le syndicat a-t-il décidé de continuer à défendre cette cause?
La discrimination systémique est une cause difficile à défendre. Souvent, les plaintes sont fondées sur ce qu’on qualifie de « subtiles odeurs de discrimination ». C’est un enjeu qu’il faut à tout prix aborder, surtout lorsqu’il est question de dotation et d’entrevues. Comment faire pour prouver qu’une personne n’a pas accès à un emploi parce qu’on la juge en fonction d’un stéréotype et non pas selon son mérite?
C’est le défi que nous avions à relever. C’est aussi ce qui crée un précédent. Aussi subtile soit-elle, la discrimination existait.
Le Tribunal a décrit les motifs de l’ASFC comme étant faux et trompeurs. Nous avons donc décidé de continuer à défendre cette cause. M. Turner aurait connu d’énormes difficultés financières s’il avait eu à plaider lui-même sa cause. On parle de dix ans de procédures devant cinq tribunaux.
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